Fermeture d'un coworking, paiement des "loyers" et Jeff Tuche...

Fermeture d'un coworking, paiement des "loyers" et Jeff Tuche...



Dois-je continuer à payer mes « loyers » si je n’ai plus accès à mon espace de coworking ? Nombre de petits entrepreneurs utilisent aujourd’hui des solutions de coworking pour éviter de s’enfermer dans les contraintes trop pesantes et trop chères d’un bail qui bien souvent s’il était conclu devrait être commercial. A la place, on privilégie alors la conclusion d’un contrat de prestations de services vous donnant accès à des locaux équipés que vous partagez avec d’autres entreprises, souvent des startups. Oui mais voilà, la pandémie est passée par là, le propriétaire des locaux a fermé les lieux mais continue à exiger le paiement de la mise à disposition… Suis-je contraint de payer ?
 
 



 
1/ Que dit le contrat?

La première réponse réside dans le contrat et je renvoie à mon petit article sur l’étude de la force majeure ici. Si le contrat ne prévoit rien de particulier et n’écarte pas expressément le cas d’une pandémie comme cause justifiant la suspension des "loyers" ("loyer" entendu au sens large ici) alors c’est la loi qui va s’appliquer.
 
Et cette loi que dit-elle ?
 
Première chose : on est pas dans un contrat de bail. C’est important car la qualification du contrat que vous avez conclu avec le propriétaire détermine le régime juridique applicable et donc les conséquences que nous évoquons ici.
 
Le contrat de mise à disposition d'espace de coworking et souvent un contrat de prestations de services.

En droit, on dit un contrat synallagmatique (merci d’introduire 1 € dans la boîte à termes savant…). Kézaco cette bestiole ? Le Code civil (la loi…) nous dit que « Le contrat est synallagmatique lorsque les contractants s'obligent réciproquement les uns envers les autres ».
 


2/ Repeat after me : sy-na-llag-ma-tique

Pour faire simple : mon obligation repose dans le fait que tu exécutes ton obligation.

Comme le dirait Vianney « Si moi aimer toi, blesser moi » : ou comme dans un algorithme avec une formule : "si""alors". Pour faire plus simple, vu qu’on comprend rarement ce que raconte Vianney dans ses chansons, si l’un des cocontractants n’exécute plus ses obligations (mise à disposition des locaux), alors l’autre cocontractant peut décider de suspendre les siennes (paiements dûs en raison de l’occupation).
 
On parle en effet d’exception d’inexécution.
 
Comme le dirait Jean-Jacques Goldman (oui cet article est placé sous le signe de la musicalité pour égayer l’ambiance...)  «  Quelque chose d'infime/c'est certain/C'est écrit dans nos livres/En latin ».
 
Le livre en l’occurrence c’est le Code civil, encore lui, et l’adage latin auquel on se réfère c’est : Exceptio non adimpleti contractus (ça mérite bien 2€ dans la boîte à termes savants…).
 
Les articles 1219 du code civil («  Une partie peut refuser d'exécuter son obligation, alors même que celle-ci est exigible, si l'autre n'exécute pas la sienne et si cette inexécution est suffisamment grave. ») et 1220 («  Une partie peut suspendre l'exécution de son obligation dès lors qu'il est manifeste que son cocontractant ne s'exécutera pas à l'échéance et que les conséquences de cette inexécution sont suffisamment graves pour elle. Cette suspension doit être notifiée dans les meilleurs délais.  » ) du code civil vont donc vous permettre d’avoir un fondement légal pour suspendre vos paiements.
 
Attention encore une fois à ce que des dispositions contractuelles contraires ne viennent pas contrarier cette démarche.
 
Enfin on conclura, avant le rappel (comme dans les concerts… je sais cet article est décidemment très « show time »…) qu’au regard de la situation actuelle il faut se rappeler que nous fonctionnons dans une économie interdépendante. Et comme le dirait Jeff Tuche : "pas de bureau, pas de travail, pas de travail pas de sous, pas de sous pas de loyer, pas de loyer pas de crédit, pas de crédit pas d’immeuble, pas d’immeuble pas de civilisation, pas de civilisation pas de bière, pas de bière pas de copains, pas de copains pas de vie…"
 
A l’aune de cette tirade que pourrait avoir énoncé notre philosophe de Bouzolles, il faut donc probablement aborder ce type de difficultés dans un esprit conciliant car chacun est affecté par ce genre de difficultés.

Il s’agit d’une réaction en chaîne où chacun subit le fait qu'un contrat ne s'exécute pas normalement. Et en droit, on peut toujours trouver des arguments à faire valoir pour apporter la contradiction aux prétentions d'un cocontractant.

Il faut donc procéder avec calme et ne pas foncer tête baissée sous prétexte que vous avez lu sur un blog (certes particulièrement agréable à consulter, je vous le concède) que vous alliez probablement pouvoir faire des économies.

Enfin il est important de rappeler qu'on parle ici de "suspension" des obligations et non de "suppression" de celles-ci. Le Code civil ici fait preuve de cette agilité que revendique souvent les startups. Un outil juridique finalement plutôt bien adapté à la crise pour ce type de situation.



3/ En résumé...
 
  • Je peux démontrer que je suis effectivement empêché d'accéder à l'espace de coworking par le fait du propriétaire.
  • Je vérifie que mon contrat ne prévoit rien sur la situation actuelle (exclusion de la force majeure par exemple).
  • J'informe - avant toute suspension de paiement - le propriétaire de mes intentions de suspendre les paiements par LRAR si je trouve un type à La Poste qui bosse encore...
  • Avant toute suspension des paiements, j'essaye de trouver une issue négociée et écrite aux difficultés avec le propriétaire (transaction prévue par l'article 2044 du code civil)
  • Pour m'occuper pendant la crise, j'entreprends la rédaction d'un ouvrage d'interprétation du répertoire de Vianney.