Vente par démarchage : un commerçant ou un artisan peuvent-ils bénéficier du délai de rétractation?

Vente par démarchage : un commerçant ou un artisan peuvent-ils bénéficier du délai de rétractation?

Un commerçant reçoit sur son lieu de travail un professionnel venant lui proposer la vente d’une prestation. N’ayant pas la tête à une discussion contractuelle, après plusieurs heures de discussion, il signe un contrat qu’on lui a présenté non comme un véritable engagement, mais comme une proposition à concrétiser formellement plus tard. Le soir, il constate qu’il s’est en réalité engagé pour plusieurs mois, voir plusieurs années pour un montant parfois non-négligeable et pour une prestation dont il n’aura pas vraiment besoin. Première erreur : avoir signé sans lire. Deuxième erreur : considérer immédiatement qu’il ne bénéficie pas des dispositions protectrices du code de la consommation concernant la vente par démarchage. Sous certaines conditions, il peut en effet en profiter. Voyons comment.

Dans certaines circonstances, la jurisprudence permet en effet au professionnel, de pouvoir invoquer les règles protectrices réglementant la vente par démarchage protégeant habituellement le consommateur.
 
Le critère déterminant sera celui de l’appréciation du lien direct avec l’activité du professionnel.
 
La Cour de cassation est venue le dire de manière très clair dans une jurisprudence qui est devenue constante depuis 1989 : "après avoir constaté que la technicité et le coût du matériel objet du contrat ne s'adressaient qu'à un professionnel, une cour d'appel a souverainement estimé que cette acquisition avait un rapport direct avec l'activité professionnelle, même future, de l'acheteur, dont elle n'avait pas à vérifier les compétences professionnelles" (Cass. 1re civ., 10 juill. 2001 : Bull. civ. 2001, I, n° 209).
 
La question n’est pas anodine car nombreuses sont les sociétés qui se sont spécialisées dans le démarchage à domicile des petits artisans ou commerçants pour leur faire signer des contrats. Ils contournent parfois le subtile critère jurisprudentiel  du « lien direct avec l’activité » en prenant soin de rapprocher suffisamment leur prestation de ce domaine.
 
La question est souvent posée au Parlement et on peut lire nombre de réponses ministériels sur cette thématique. On précisera tout de suite que même si les règles du droit de la consommation ne peuvent être invoquées, le professionnel dispose quand même d'outils comme par exemple l'article 1116 du code civil relatif au dol dont le premier aliéna dit ceci : "Le dol est une cause de nullité de la convention lorsque les manoeuvres pratiquées par l'une des parties sont telles, qu'il est évident que, sans ces manoeuvres, l'autre partie n'aurait pas contracté.". Reste le probolème de la preuve...
 
L’article L121-22-4° du code de la consommation exclue clairement du bénéfice de la protection accordée au consommateur « Les ventes, locations ou locations-ventes de biens ou les prestations de services lorsqu'elles ont un rapport direct avec les activités exercées dans le cadre d'une exploitation agricole, industrielle, commerciale ou artisanale ou de toute autre profession. »
 
On ajoutera que le point n°17 de la DIRECTIVE 2011/83/UE DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL du 25 octobre 2011 relative aux droits des consommateurs est très explicite : " La définition de consommateur devrait englober les personnes physiques qui agissent à des fins qui n’entrent pas dans le cadre de leur activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale. Cependant, en cas de contrats à double finalité, lorsque le contrat est conclu à des fins qui n’entrent qu’en partie dans le cadre de l’activité professionnelle de l’intéressé et lorsque la finalité professionnelle est si limitée qu’elle n’est pas prédominante dans le contexte global du contrat, cette personne devrait également être considérée comme un consommateur".
 
Ce qui permettra au professionnel de faire annuler un contrat signé par démarchage sera donc l’absence de tout lien direct avec l'activité professionnelle qu’il exerce.
 
Les juges chargés de trancher un litige vérifieront donc la motivation du commerçant ou de l’artisan démarché : on rejoint ici la notion de cause du contrat, visé par l’article 1131 du code civil.
 
La Cour de Cassation a frappé un grand coup en rendant pas moins de 10 arrêts le 6.01.1993 dans lesquels elle met en avant la notion d’intérêt exclusif de l’entreprise.
 
Attention cependant, le principe qui prévaut reste celui de la sécurité des conventions et il vous appartiendra d’apporter la démonstration (délicate) du fait qu’il n’y avait aucun rapport direct avec votre activité professionnelle : si le contrat conclu par démarchage permet un développement ou une protection de votre activité professionnelle, on est normalement dans l’impossibilité d’invoquer ce qui ne reste quand même qu’une exception jurisprudentielle.
 
Par exemple : la pose d’un équipement de télésurveillance vous permet-il de développer votre activité commerciale ? La réponse, qui est souvent non, permet de faire annuler ce contrat. Nombreux sont les commerçants concernés par ce type d’équipements.
 
La jurisprudence est assez variée et il est difficile de dégager une ligne directrice. La Cour d’Appel de Chambéry a par exemple décidé que pour exclure le droit de la consommation il fallait que  le service ou le bien proposé en démarchage soit de la même spécialité que l'activité du commerçant ou de l’artisan.
 
La réponse dans le domaine de la création de site web pour les besoins d’une entreprise reste incertaine…
 
On attend de la Cour de Cassation qu’elle régule cette matière très fluctuante. En cas de litige, il faudra tout le talent de votre avocat pour parvenir à un résultat satisfaisant.
 
Comment être sûr que vous pouvez tenter d’invoquer les règles du droit de la consommation malgré votre statut de professionnel ? Seul un avocat sera en mesure de vérifier l’état de la jurisprudence et d’analyser votre cas particulier pour vous apporter une réponse précise. Avoir recours à ses services suppose que le montant du litige soit important (ou alors vous aurez eu l’idée brillante de souscrire un abonnement juridique au cabinet grâce à Getavocat…).
 
En résumé : si vous avez un avocat habituel, faites lui lire tout contrat sur lequel vous avez des doutes.
 
La réponse à faire au démarcheur est souvent très simple et très démotivante pour lui : « il faudrait voir ça avec mon avocat ». Réflexe très américain mais Ô combien efficace pour éviter les déconvenues…