Ce que dit le rapport TRACFIN sur les crypto-monnaies.

Ce que dit le rapport TRACFIN sur les crypto-monnaies.



Les starts-up qui évoluent dans le domaine de la crypto-monnaie ont connu un pic de fièvre quand ils ont appris que les plus hautes autorités administratives de l’Etat s’intéressaient de près aux Bitcoins et à tous ses petits frères. Au cours du mois de juin 2014, TRACFIN (Traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins), la cellule de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme a en effet remis un rapport au Ministre des Finances intitulé « L’encadrement des monnaies virtuelles : recommandations visant à prévenir leurs usages à des fins frauduleuses ou de blanchiment ». Que dit-il ? Revue de détails…

Et la question de se poser : notre bien aimé gouvernement s’apprête-il encore une fois à couper la tête à une forme de nouvelle économie naissante ? On renverra les non-avertis à un article précédent rédigé le 27 février sur une première approche juridique du BITCOIN et à travers lui des crypto-monnaies (le Bitcoin est-il illégal?). Le rapport rendu vient confirmer les premières analyses, en tout cas pour la France, car l’accueil juridique des crypto-monnaies varie considérablement en fonction des pays.
 
Ainsi précise-t-il que « la qualification de monnaie électronique ne peut être retenue, en l’état des textes. Les monnaies virtuelles ne sont également pas des instruments de paiement tels que définis par le c) de l’article L. 133-4 du code monétaire et financier (…)Les monnaies virtuelles n’entrent également dans aucune des catégories des instruments financiers telles que définies par l’article L. 211-1 du code monétaire et financier » (…) « L’émission des monnaies virtuelles ne répond (…) à aucune qualification au regard de la réglementation bancaire et financière en vigueur (…), il ne s’agit pas d’instruments de paiement au sens du c) de l’article L. 133-4 du code monétaire et financier, ni de monnaie électronique, ni d’instruments financiers dont la liste est définie à l’article L. 211-1 du code monétaire et financier (…)Les monnaies virtuelles n’entrent pas dans le périmètre juridique de la directive européenne des services de paiement ».
 
Une fois cette précision légale posée arrive la partie intéressante de l’analyse, confirmant qu’en l’état, au niveau du principe, rien n’interdit d’œuvrer commercialement dans le domaine de la monnaie virtuelle (qui n’en est justement pas une…) : « Néanmoins elles peuvent en remplir la fonction économique, sur une base conventionnelle et privée ». Que signifie cette précision? Tout simplement que les crypto-monnaies peuvent faire l'objet de conventions et ce point est sur le plan juridique d'une importance capitale. Il suffit pour s'en convaincre de lire l'article 1128 du code civil : "Il n'y a que les choses qui sont dans le commerce qui puissent être l'objet des conventions". Lisons maintenant l'article a contrario : les choses pouvant faire l'objet de conventions sont donc des choses qui sont dans le commerce. Les monnaies virtuelles sont des choses qui sont aujourd'hui dans le commerce. Ce point n'est pas contesté. Les monnaies virtuelles peuvent donc faire l'objet d'une exploitation commerciale.
 
Au jour où le rapport est rédigé, le problème de la qualification juridique de la crypto-monnaie n’est toujours par réglé. La lecture du rapport est assez décevant dans le sens où il est entièrement tourné vers le volet « illégalité potentielle » du support. A aucun moment n’est abordé le volet croissance économique que semble pouvoir générer ces crypto-monnaies. Or on sait qu’une économie tout à fait légale s’empare progessivement du phénomène et qu’elle génère une activité économique réelle , source de croissance, de développement économique et d’emplois.
 
Que le gouvernement actuel veille à ne pas tuer dans l’œuf ce phénomène qui se développera alors partout ailleurs dans le monde où les législateurs auront appris à composer avec au lieu de tenter de le mettre à mort…
 
Si on peut comprendre les craintes légitimes d’un Etat dont la monnaie constitue un des éléments constitutifs (avec  son territoire et son peuple notamment), encore faut-il qu’un effort soit fait pour comprendre l’ADN des crypto-monnaies et ne pas les réduire à leur potentialité délinquante. Cet effort en l’état n’est pas fait.
 
On ne peut ensuite s’empêcher de pester s’agissant du constat de la très haute volatilité des cours et du caractère absolument pas régulé de ces instruments quand on voit le mal économique susceptible d’être généré par nos Bourses traditionnelles, elles pourtant particulièrement encadrées (en théorie).
 
Des flux financiers constitués de milliards d’euros ne reposant sur rien d’autres que la fluctuation de valeurs s’orientant à la hausse ou à la baisse en fonction d’actualités plus ou moins fondées changent quotidiennement de mains, sans que l’économie réelle n’en bénéficient et qu’aucune valeur ajoutée ne soit produite, sans que cela émeuve pour autant nos autorités régulatrices…
 
Sur ce point, il me sera permis de ne pas être « juridiquement correct » le temps d’une expression en affirmant qu'on se fout vraiment de la gueule du monde !...
 
Le rapport stigmatise encore l’absence de traçabilité des transactions « ni certaine, ni systématique », le fait que le paiement avec ce type d’outil « revient à donner des espèces à un inconnu dans la rue contre un produit qu'il s'engage à vous ramener plus tard » et met également l’accent sur le risque de blanchiment, notant toutefois au passage très justement que « les fonds détenus en monnaie virtuelle sont exposés à des risques opérationnels et de volatilité. Compte tenu de ces limites, l’utilisation des monnaies virtuelles à des fins de blanchiment paraît plus appropriée pour du micro-blanchiment ou le blanchiment de profits issus de la cybercriminalité »
 
Le rapport dégage finalement trois axes de réflexions pour l’avenir : un « volet encadrement d’utilisation » , un « volet régulation et coopération » et enfin un « volet connaissance et investigation ».
 
L’objectif des recommandations vise ainsi à limiter l’anonymat des utilisateurs : prise d’identité à l’ouverture d’un compte, obligation de déclaration du compte en crypto-monnaie passé un certain seuil, plafonnement du montant payable par ce biais, contrôle d’identité aux bornes d’échanges ou aux distributeurs de BITCOIN.
 
Serait ensuite mis en œuvre la régulation des échangeurs virtuels par la perte de l’anonymat pour les français utilisant ce système, même à l’étranger (comment ???). Les professionnels sur qui pèsent une obligation de vigilance (ça c’est pour ma pomme…) se verraient informé d’une demande de renforcement de contrôle pour les flux monétaires en crypto-monnaies.

Cette régulation désirée par les auteurs du rapport est ainsi résumée dans un tableau : 



                 





 
Ce n’est que dans les derniers passages du rapports qu’un ersatz d’optimisme voit le jour mais alors très timidement : « des propositions sont également formulées afin d’assurer un suivi des risques et des opportunités en lien avec les monnaies virtuelles ».
 
"Opportunité", alleluia, le mot est lâché… mais dieu qu’il est isolé !
 
Bref, le rapport est là où on l’attendait, à savoir dans une volonté régulatrice que l’on peut certes entendre s’agissant d’un phénomène qui peut engendrer une certaine forme de délinquance. Mais pas un mot sur l’innovation, sur les perspectives de développement économiques et les perspectives d’emplois que pourraient générer une approche intelligente de ce phénomène. Il faut donc s’attendre dans les mois qui viennent à la mise au jour d’une législation probablement destructrice pour les crypto-monnaie en France dès lors que les propositions formulées vont à l’encontre de l’essence même de leur raison d’être.
 
Les responsables politiques français ont cette capacité incroyable à faire fuir l’innovation vers l’étranger avec des textes imbéciles. L’histoire risque ici encore de se répéter et je crains que San Francisco ou Londres soient prochainement amenés à accueillir de nouveaux français avec dans leurs valises plein de beaux projets entrepreneuriales tués dans l’œuf en France.

Il est vraiment temps que ceux qui nous gouvernent relisent cet ouvrage majeur de Jean-Jacques ROUSSEAU dans lequel ils pourraient puiser une grille de lecture de l'innovation  tout à fait pertinente malgré la date de première parution de l'ouvrage concerné (Du Contrat Social 1762). Ainsi pourraient-ils par exemple y lire ceci : "les lois sont toujours utiles à ceux qui possèdent et nuisibles à ceux qui n'ont rien".